Ton ego et ma banane

Il y a quelques jours, j’étais dans un souper-bénéfice avec des gens que je ne connaissais pas. Dans une salle impersonnelle d’hôtel – elles sont à peu près toutes pareilles – où les tables sont vendues d’avance et où ne choisit pas qui sera assis à côté de nous. C’est la norme dans ce genre de situation. On y invite des personnes sensibles à la cause et des vedettes pour pimenter le truc.

Évidemment, quand on amorce une conversation avec une personne inconnue, sauf exception, on y va avec les questions d’usage et on patauge pendant quelques secondes dans les lieux communs afin de mettre tout le monde à l’aise.

–       Salut, moi c’est…, je suis ici avec…  . Toi, quel est ton lien avec ces gens ?

On cherche à valider la théorie du six degrees of separation. On veut trouver le morceau de puzzle qui manque !

Mais plus les heures avancent, plus les langues se délient. Le puzzle se complète ou bien on l’oublie, les bouteilles se vident. Les gens se sentent à l’aise et les degrés de séparation fondent comme neige au soleil.

On ne va pas s’en offusquer, tant mieux si ça ne patauge plus. Sauf que, parfois, c’est pour mieux sombrer. On peut devenir vache quand l’alcool coule à flots. Vraiment vache ! Ou bœuf, c’est selon. Surtout quand on se sent mal dans sa peau. Le jugement est alors plus facile. On y va avec nos préférences, on passe le rabot sur nos relations et on se rassure ainsi sur notre propre vie, certains de faire les meilleurs choix. Viennent aussi les situations bizarres où chacun y va de ses secrets personnels sur son entourage ou celui de son voisin.

Plus le vin coule, plus les langues se délient et plus se dégorgent les confidences sur des personnes que l’on connaît à peine. Quand on arrive à – 12 degrés de séparation, on peut même aller jouer dans les tables alentour.

–       Et elle c’est qui ?

–       Une femme qui a un talent fou mais qui n’aime personne !

–       Ah bon ? Personne ?

–       Non, personne ne trouve grâce à ses yeux.

Donc, touchdown et retour à la case départ !

Personnellement, en vieillissant, je trouve ça de plus en plus lourd, mais j’ai une patience d’ange avec les gens qui jugent et qui postillonnent, la bouche vaseuse et le récit acide. Avec ceux qui croient que l’anecdote croustillante rapproche.

À ce souper, j’ai levé les yeux au ciel mille fois, dans ma tête, mais j’ai aussi entendu et écouté des trucs qui me font réfléchir.

Quand quelqu’un me lance :

–       Bah, tout ce que cette auteure veut, c’est être une vedette !

Je ne me dis pas : c’est donc vrai ! Mais plutôt : wow, quel jugement, quelle assurance ! Et si c’était vrai, qu’est-ce ce que ça change ? Qu’est-ce que ça change que cette personne se place à la une de tous les médias ? Surtout, qu’est-ce que ça change pour vous ? On vous arrache un bras, une jambe, c’est ça?

Je ne réponds pas grand chose et j’y vais de petits hochements de tête significatifs, du genre, ouais, ouais, j’ai compris. Mais j’ai seulement envie de crier : TANT MIEUX si elle veut écrire partout, passer à la radio, à la télé, publier 30 statuts par jour sur les médias sociaux et si elle a un ego gros comme ça !

Parce que c’est un boulot en soi, de vouloir être au top et de gérer son ego, à tous les jours. Des heures et des heures à se promouvoir soi-même, ça doit être épuisant.

Je me dis aussi, ben coudonc !

À la fin, nous ne sommes pas plus que des pions sur le grand échiquier, pas vrai ? Certains se croient Dieu, d’autres font tout pour être des stars, il y a ces grands juges. Et puis il y a les autres, ceux qui ne font pas trop de vagues et qui n’en sont pas moins intéressants. Sans nom de famille célèbre, sans statut social au top ni de destin particulier. Une majorité de gens qui triment dur, eux aussi, mais qui n’auront jamais plus de reconnaissance qu’un enfant qui fabrique des vêtements au Bangladesh. Ou qu’une boite de biscuits vide, un mardi soir. Ce sont des humains qui ont une façon d’être qui est moins tape-à-l’œil, moins clinquante, mais pas moins exceptionnelle.

L’humilité est peut-être une notion qui se perd ou qui se dilue, de nos jours. Doit-on se prendre pour le contraire d’un Seven Up flat pour obtenir de l’attention ?

Doit-on absolument crier plus fort que tous les autres pour être entendu ?

Je n’ai pas de réponse claire.

Moi je veux bien participer à tous ces soupers-bénéfice où on mange surtout de son prochain, mais comme le chante si bien Philippe Katerine, mon idéal est beaucoup plus simple que ça. Plus zen surtout, en ce début d’été.

Non mais laissez-moi…

Non mais laissez- moi…

Manger ma banane, toute nue sur la plage.

Allez, bonnes vacances !

2 commentaires sur « Ton ego et ma banane »

  1. Tu écris tellement bien petite cousine, et oui l’humilité aura toujours sa place, mon fils en est un bon exemple. Je t’embrasse fort et je te souhaite plein de beaux moments cet été. Gros bisous Nancy xxxx

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